Ici et là, toujours plus loin. |Théo|

*Médecin légiste à Miami*

Non seulement il faisait froid, mais en plus il faisait nuit. Recouvert d'un long manteau d'un bleu marine qu'il s'était acheté peu de temps auparavant, à New York même, Matteo observait la triste morgue éclairée de lumières blanchâtres. Rien à voir avec celle de Miami. Même les morts là-bas semblaient plus chaleureux. Se décidant finalement à retirer son manteau qui le gênerait dans son travail (si travail il y avait), le jeune homme se retrouva bientôt vêtu de sa blouse de médecin légiste, oubliant la douche chaleur réconfortante d'un vêtement chaud.

Il se rappelait encore les mots de Alexx. Mais oui, ce serait génial pour sa carrière ! Une superbe opportunité ! Travailler à New York, c'est travailler chez les grands. Alors pourquoi pas, cette mutation semblait idéale et inattendue, lui qui était si jeune, qui commençait à peine à exercer. Depuis son enlèvement quelques temps auparavant, et ce petit passage de sa vie pendant lequel il avait vécu des moments à la fois fous et terrifiants, le docteur sentait que tout allait plus vite dans sa vie. Tout s'accélérait. Il n'aurait pas refusé de travailler à New York, mais ce jour-là, cette « promotion » tombait comme un cheveu sur la soupe. Non content d'avoir abandonné amis et famille à Miami, il se retrouvait dans une ville froide - dans tous les sens du termes - et très peu accueillante. Plusieurs personnes avec lesquelles il avait déjà parlé semblaient ne pas vraiment l'accepter. Bien sûr, lui c'était le petit jeune de Floride, débarqué et perdu.

Pour sa première journée de travail officielle ici, à New York, il espérait qu'il n'y aurait pas trop de boulot. Il adorait son boulot, ça lui paraissait génial, surtout quand Alexx était dans les parages. Ici, il se sentait comme un animal domestique perdu dans la savane. Il n'était pas chez lui, il ne connaissait pas le coin, on lui avait à peine montré où était quoi, puis on l'avait abandonné à son sort comme un malpropre. Ce qui expliquait son envie de rentrer à son hôtel et de se cacher sous ses oreillers jusqu'à ce que son réveil sonne et que les rayons du beau soleil de Miami ne lui caressent tendrement le visage pour lui annoncer la fin de ce mauvais rêve.

C'est alors qu'un bruit derrière lui le tira brusquement de ses pensées. Il se retourna.

*Médecin légiste à NY*

On l'avait prévenu qu'un nouveau médecin légiste allait arriver pour encombrer un peu plus son havre de paix, et également, son lieu de travail. Bien sûr, on lui avait annoncé la nouvelle une demi-heure avant l'arrivée dudit personnage tant attendu. Rien n'avait été précisé sinon sa jeunesse. Et ils avaient insisté sur sa jeunesse. Theodore n'était pas médecin pour rien et il savait comprendre les sous-entendus quand il y en avait. Son informateur avait l'air quelque peu... incertain quant à ses sentiments du nouveau médecin légiste, surtout face à son inexpérience. Theo, lui, avait juste haussé les épaules et était reparti s'occuper de préparer du thé pour la nuit qui allait commencer.

La vapeur de l'eau bouillante, puis les effluves délicieuses du thé anglais infusé, lui donna une soudaine bouffée de nostalgie : son pays natal lui manquait, et pourtant, il ne rentrait pas vivre là-bas, entouré des beaux pâturages de la campagne anglaise, de ses coutumes rébarbatives pour les américains qui aimaient tellement se moquer, et qui pourtant, favorisaient le concept de respect de soi et de son prochain. Ahh, la douce fraîcheur de l'air matinal sur son visage, lorsque l'on vient de se lever de son lit, King Size.

Retombant les pieds sur le sol américain, Theodore prit une autre grande inspiration, savourant l'odeur du thé matinal (mais dans son cas, de début de service), il commença à le boire. Alors que sa tasse n'était qu'à moitié vide, il reçut un appel sur son bipper, l'informant de l'arrivée du médecin légiste, qui, pour sa première nuit de travail, serait sous son aile protectrice et bienveillante. Le gentleman britannique espérait seulement qu'il ne serait pas comme les autres, à se faire une mauvaise impression de lui de par ses manières et son franc parler.

Sortant du bureau-loge qui lui servait pour se reposer quelques instant, il remarqua un jeune homme brun qui lui tournait le dos et observait les alentours. Marchant vers lui, il ne remarqua que trop tard, le plateau près d'une des tables où les outils nécessaires au découpage d'un cadavre se trouvaient, et avec fracas, il envoya tout le contenu sur le sol propre de la morgue. Quand le silence refit place, il ne put s'empêcher de commenter son manque de grâce.

« Par chez nous, c'est ce qu'on appelle un boucan à réveiller les morts. Attention aux casiers derrière vous, cher monsieur, il se pourrait qu'un mort-vivant ne vous attaque par derrière. »

*Médecin légiste à Miami*

On lui avait dit précédemment qu'il travaillerait en collaboration d'un autre médecin légiste, un habitué. Visiblement, son âge faisait polémique, on le prenait pour quelqu'un sans expérience, d'autant plus ici, à New York. Matteo était bien conscient de tous les préjugés qu'il avait sur cette ville, mais depuis son arrivée ici pour sa conférence, elle ne lui avait apporté que des désagréments. Autrement dit, rien ne lui donnait envie de demeurer ici mais bien au contraire, tout ce qu'il avait vécu dans cette ville lui avait insufflé la terrible envie de rentrer chez lui, dans sa ville ensoleillée et pleine de jolies filles dénudées la plupart du temps.

C'est un véritable vacarme qui eut lieu et qui fit sursauter Matteo. Ce dernier se tourna vivement, à la recherche de la source de ce bruit. Son regard se posa alors sur un jeune homme, certes un peu plus âgé que lui, qui visiblement travaillait ici également. Il n'aurait su dire quoi, mais quelque chose chez cet inconnu était différent. Si, peut-être sa façon de s'exprimer l'était t-elle. En effet, comme il entendait l'autre légiste parler, il haussa les sourcils. La remarque était assez inattendue. Son sens de l'humour était à couper le souffle, et Matteo l'observa un instant sans parler - chose rare - puis fit quelques pas vers lui, avant de se tourner quelques secondes vers les casiers, et de regarder de nouveau son interlocuteur.

« Les morts vivants ont tendance à me faire moins peur que les vivants. Au moins, eux, j'arrive à les comprendre. C'est grave docteur ? »

Il hésita un instant, puis reprit, d'une voix pince-sans-rire.

« Je compte sur vous pour protéger mes arrières. » reprit-il en essayant de garder un ton sérieux.

Matteo n'était pas le plus grand comique du monde, mais il appréciait la façon de parler de cette homme, qui ne lui avait adressé que quelques mots d'une façon à la fois si humoristique et si sérieuse en même temps. Cela faisait un moment que Matteo attendait de rencontrer une personne qui ne le regarderait pas de haut. Après, peut-être s'était-il trompé. Il n'était pas très doué non plus pour se faire une bonne première impression.

« Je suis Matteo. Légiste stagiaire, en quelques sortes. Pour un temps encore indéterminé, mais pas infini, je le souhaite. »

*Médecin légiste à NY*

Il était surprenant de trouver une autre personne à l'humour particulier, surtout lorsqu'il s'agissait d'en faire à propos des cadavres dont ils avaient la charge. Soulevant un sourcil, Theodore observa avec plus d'attention, le jeune médecin légiste. Mât de peau, il était facile de lui reconnaître une origine du sud. Un endroit chaud où le soleil était présent en continuité. Pas le Texas, ni même ces autres États où les habitants avaient un accent, car ce médecin n'en avait aucun. Le gentleman britannique se décida donc pour la Californie, ou peut-être la Floride. Peu lui importait à vrai dire : que ce jeune homme soit compétent et agréable à côtoyer étaient les seules choses qui avaient de l'importance à ses yeux.

Après son inspection rapide, Theodore s'approcha du nouvel assistant médecin légiste et tendit une main parfaitement manucurée, où la trace d'un anneau pouvait distinctement se voir sur l'un de ses doigts. A vrai dire, c'était un anneau orné du blason de sa famille, qui allait de père en fils depuis des générations. Malheureusement, de par son métier, le britannique ne pouvait pas décemment le porter sous les gants en latex nécessaires aux autopsies ; au lieu de cela, quand il travaillait, il le laissait pendre sur une chaîne qu'il avait autour du cou, et qu'il gardait cachée sous ses blouses.

« Bien heureux de faire votre connaissance. Je suis Theodore Lancaster, gentleman britannique et fier de l'être. Et vous-même, à qui ais-je l'honneur de parler ? »

Le nom Matteo, que répondit son interlocuteur, lui rappelait comme un vague souvenir... Peut-être aux informations ? Ou peut-être qu'il lui rappelait tout simplement une autre personne, ce qui était fort probable : Theodore ne se rappelait pas de toutes les connaissances qu'il faisait, loin de là. Sa mère lui avait toujours dit qu'il avait une mémoire sélective, comme son paternel. A cela, le jeune homme ne faisait que hausser les épaules et laissait sa mère parler tout son soûl tout en bloquant consciemment sa voix dans sa tête.

« De la famille italienne peut-être ? Le nom Matteo y est très répandu en Europe du sud, non ? L'Italie... Un beau pays, quoiqu'un peu chaud. Oh mais j'y pense, venant d'Italie, vous êtes sûrement de Floride plutôt que de Californie, je me trompe ? Il y fait meilleur en tout cas sur la côte est de l'Amérique. »

Tout en débitant son flot de paroles, il était retourné vers sa loge, implicitement commandant le nouvel arrivé de le suivre. Là-bas, il servit un second thé dans une tasse à son collègue, et reprit la sienne après s'être assis, les jambes croisées de manières très digne.

« Ne m'en veuillez pas, mais je n'avais pas fini mon thé matinal. »

Même si c'était le début de soirée à New York. A peine en train de prendre une gorgée de sa boisson refroidissante, qu'une sonnerie résonna dans la pièce, le faisant grimacer de dépit de ne pouvoir être libre de boire un simple thé. Quand il décrocha son portable, c'était pour qu'un assistant médecin légiste de terrain dont il avait déjà oublié le nom, lui dise qu'un corps allait bientôt arriver à la morgue. Theodore coupa cette courte conversation un peu brusquement dans un geste de mauvaise humeur : on ne dérangeait jamais un anglais dans sa pause thé.

« Eh bien, il semble que vous allez pouvoir travailler de suite avec moi-même. Si vous souhaitez mettre quelque chose de plus convenable, vous avez un vestiaire, la porte d'à côté dans le couloir, en sortant de cette salle. »